Le principe du 50 minutes InSitu ? Mettre en avant le témoignage d’une personne à propos de son activité. Des corps de métiers connus ou moins connus que l’on vous fait, en partie, découvrir à travers le regard d’une personne… Voilà le premier 50 minutes InSitu… le premier d’une longue série… !
On retrouve des ergonomes internes dans les grands groupes internationaux ou dans des structures importantes, peu dans les PME-TPE… Mais qu’en est-il des entreprises qui n’ont que 3-4 salariés, voire les structures d’une seule personne ? Nul doute qu’il est très rare de voir un ergonome intervenir dans de si petites structures… Et pourtant…
Aujourd’hui nous avons rencontré Patrick, 58 ans, reconverti en tant qu’artisan du bâtiment seul à son compte depuis bientôt 20 ans après une première carrière dans le secteur de l’imprimerie.
EMS : Bonjour Patrick, l’un des membres d’EMS a eu l’occasion d’être dans de multiples situations d’observation participante avec toi, ou plutôt de participation observante. Nous aimerions donc aujourd’hui, si tu l’acceptes, partager ton témoignage d’expérience avec nos lecteurs.
Patrick : ok vas-y, qu’est-ce que tu veux savoir ?
EMS : Peux-tu nous décrire ce que tu fais dans la vie ?
Patrick : Parce que tu sais pas ce que je fais ptet ? (rires) Bah tu le sais : Peinture, isolation, aménagement de combles, carrelage, parquet, revêtement mural/sol…
EMS : Donc justement, tu as toute cette activité, mais tu fais aussi des devis, des rdv, des achats de matières premières… est-ce que tu sais déterminer en moyenne quel pourcentage du temps représente ces différentes activités ?
Je dirais qu’en moyenne un devis c’est 1h chez les gens. En moyenne hein, après ça dépend, mais.. oui…le plus petit c’est 1h ! Après ça varie selon les devis que c’est ! C’est pas la même chose pour une salle à manger ou pour un chiotte. Le temps de prendre les mesures etc. Après… la rédaction ça peut être une bonne heure. Voir 1h30. Là c’est pareil ça dépend s’il y a beaucoup de recherche de fournitures à faire etc.
EMS : D’accord, et niveau fournitures justement, tu dois t’approvisionner souvent ?
Patrick : Après, le temps pour aller chercher les fournitures, ça dépend des fois, sur certains chantiers tu peux aller chercher tout en une fois ou deux maximum, mais des fois tu dois y retourner 3-4 fois parce que quelque chose ne va pas etc. C’est difficile de calculer, forcément ça dépend, mais je dirais que… ouais… je vais à [magasin de bricolage] ou autre, en moyenne 2 fois par semaine à peu près. Après, les devis je sais pas combien j’en fais.
EMS : Oui, mais ils sont chiffrés et numérotés ?
Patrick : Oui, bah oui, si tu veux là j’en suis au 859. Mais c’est depuis que j’ai l’ordinateur. Avant j’en faisais d’autres.
EMS : Donc plus de 1000 devis ?
Patrick : oui oui largement ! Par exemple les factures j’en suis à la 495 tu vois, mais pareil, avant l’ordinateur j’écrivais à la main dans un cahier. Un cahier c’est une 50 aine de factures et j’ai 3-4 cahiers.
EMS : les premiers devis c’était pareil ? Sur des cahiers ?
Patrick : Oui.. euh non je sais plus.. euh bah non c’était à la machine à écrire !
EMS : Quand on travaille en tant qu’artisan du bâtiment, seul, la clientèle, est une clientèle de proximité… quelles évolutions as-tu vu dans ton travail ?
Patrick : Les gens sont plus (+) pressés sur les devis, sur la rédaction. Maintenant, il y a plus de demande de devis pour les gens… Mais ils font pas toujours faire les travaux. Après, moi c’est un peu spécial, j’ai une clientèle attitrée… c’est des gens qui me rappellent… J’ai pas beaucoup de nouveaux clients.
EMS : Oui, c’est vrai que tu n’as pas de site Internet…
Je sais pas si c’est à cause du site internet, je suis sur le bottin ! Les gens qui veulent, ils m’appellent, je suis sur le bottin. Par exemple, en ce moment je travaille chez un client chez qui j’avais travaillé la première fois il y a 5 ans. Mais c’est vrai qu’il y a plus de concurrence, avec les autoentrepreneurs qui cassent un peu les prix.. mais à mon niveau on en entend pas beaucoup parler. C’est vrai qu’ils ont moins de charges mais bon… Du coup, les gens font plus de devis surtout pour comparer ou pour les assurances maintenant, et font les travaux seuls. Mais bon c’est normal aussi c’est un peu la crise pour tout le monde. Mais toi ça te fait du temps à courir à droite à gauche pour des rendez-vous, tu fais des devis, et … voilà ! Après ça fait soi-même avec l’argent de l’assurance… C’est un peu normal aussi..
EMS : D’accord, oui, l’activité a évolué, et justement il y a des choses dont on parlait beaucoup moins avant. Par exemple on parle actuellement de TMS, Troubles Musculo Squelettiques, est-ce que ça te parle ? Est-ce que tu en as ? est-ce que tu connais quelqu’un qui en a.. ?
Oui, moi ça me touche, et ça touche beaucoup de gens : si tu fais beaucoup de carrelage c’est les genoux. Moi surtout les genoux et le cou… et les épaules. J’ai eu ma tendinite du bras, j’ai de l’arthrose au cou, les genoux calleux (carrelage). Quand tu passes la journée à genoux au sol, forcément, au bout d’un moment c’est pas bon je pense…
EMS : D’accord, et tu as vu un médecin pour ça ?
Patrick : Oui oui, bah j’ai des anti-inflammatoires pour quand j’ai des périodes de crises, mais oui oui. Bah pour ma tendinite du coude là, qui me faisait mal l’année dernière. Et puis j’ai de l’arthrose dans le cou (à force de repeindre ou enduire les plafonds…) le médecin qui m’a dit ça… Mais bon c’est ptet un peu l’âge aussi… Et puis bah le dos, là c’est comme ça… c’est dans les métiers un peu dur comme ça t’as souvent mal au dos…
EMS : Est-ce que par rapport à cela tu as fait évoluer ton travail, en utilisant des aides techniques, en aménageant certains chantiers, en en refusant… ?
Patrick : J’ai pas supprimé les trucs (chantiers).. Mais certains trucs je me lance plus dedans. Par exemple des terrasses, des trucs en hauteur. Je suis cassé un peu de partout par le fait. Donc là je l’ai fait mais c’est la dernière fois que je prends des chantiers comme ça… Je peux plus là… Tout seul quand faut charger le bahut de parpaings, le vider sur le chantier, ou faire tourner des bétonnières seul pour une dalle de 40m² je peux plus ça…
EMS : Et est-ce que les douleurs peuvent selon toi venir aussi de ton ancien métier à l’imprimerie ?
Patrick : Non, non à l’imprimerie j’aurais pu avoir des problèmes au niveau des yeux, par ce que je travaillais sur des tables lumineuses. Enfin si peut être le dos, j’étais courbé tout le temps. Peut-être que le dos ça vient aussi de là…
EMS : D’accord, et au niveau des aides techniques…
Patrick : non il y a rien de spécial
EMS : Je sais que tu as acheté un lève plaque depuis quelques années…
Patrick : Si, il y a des aides techniques genre lève plaque, mais par le fait, tu as toujours le problème de la porter, quand tu es tout seul…faut porter une plaque d’1.20 par 2.50… C’est sûr que ça soulage les bras en hauteur, mais faut toujours la porter… ! L’enduit tu peux pas faire autrement par exemple, tu as le cou courbé, je vois pas comment tu peux faire, je vois pas d’amélioration à ce niveau….
EMS : Et dans les magasins par exemple… même des choses trop couteuses, mais qui pourraient t’aider…
Patrick : Oui, il y a des trucs, mais si tu veux, ça aide pas tout, ça se fait pas tout seul, il y a des Ponceuse télescopiques que j’ai vu mais je pense que ça changera rien. Ça s’améliore, tu peux pas dire le contraire… mais si ton bras n’a pu les vibrations il te faut toujours une force pour tenir le machin.
EMS : D’accord, du coup, en terme de santé/sécurité, je sais que tu es relativement prudent, mais est-ce que tu penses parfois à l’accident de travail, et à l’impact sur la société ?
Patrick : Oui il faut t’assurer c’est important…
EMS : Assurance pour les indemnités journalières etc…
Patrick : Non, enfin oui ça oui mais ça t’es obligé… mais je voulais dire par là, faut faire attention à ce que tu fais, aux risques. T’assurer du matériel, si tu positionnes ton échelle correctement, ne pas être en équilibre sur ton escabeau, mettre un masque quand tu ponces, des trucs comme ça…
EMS : Et tu as été confronté à des douleurs qui auraient pu mériter un arrêt de travail mais que tu ne pouvais te permettre… ?
Oui, forcément, quand j’ai mal au cou justement, je prends les antis inflammatoires, et puis bah il faut que j’aille bosser, et si je vais pas bosser bah…t’es pas payé.
EMS : Ok, maintenant on en a parlé, ton activité ne se résume pas qu’à la partie chantier… Est-ce que justement la partie : gestion des chantiers, des plannings, des devis, des retard etc.. C’est une partie que tu peux considérer comme stressante, problématique ou pas vraiment ?
Oui bah, n’importe comment, en fin d’année dernière, il y avait pas spécialement de boulot, pas spécialement de client qui appelle, donc oui je crois que ça apporte une forme de stress, d’angoisse, de pas savoir ce que tu vas faire, si tu fermes, si tu continu, etc. Je pense que oui après ça peut jouer, je vais dire franchement, sur le mal de dos de cou, etc… T’es plus tendu.
Regarde là, avec les inondations, le coup de la terrasse (travaux en extérieur impossible à réaliser) … ça m’a mis 4 semaines en retard. Donc en septembre faut que je prévienne les autres, ça c’est de l’angoisse et du stress… ça t’amène à te dépêcher sur ton travail, à faire des conneries, manipuler des choses moins bien… parce que t’es pressé, tu fais des gestes sans te protéger… tu vas prendre la grosse tine (sceau) de peinture… enfin voilà tu connais la chose.. bah tu vas la prendre comme ça et tu vas te faire mal au dos…
EMS : D’accord
Patrick : C’est pour ça que maintenant depuis que tu me l’as dit j’essaye de mieux me positionner pour prendre les plaques de placo, je pli les genoux etc. Et c’est vrai que ça me fait moins mal je pense…
EMS : D’accord, bah c’est bien car c’est aussi l’objectif de l’article de dire que des ergonomes on en trouve pas partout et pourtant les conditions de travail peuvent être tout aussi améliorables dans des petites entreprises, ou des structures comme toi où tu es seul…
Patrick : C’est pas pour dire, mais je pense que ça serait bien d’avoir un ergonome, bah c’est vrai que tu peux pas te payer ça quand tu travailles seul etc. Mais tu sais je pense que ça serait bien quelqu’un pour te donner des conseils…
EMS : D’accord, à priori qu’est ce qui t’intéresserait le plus ? La partie conseil pour l’activité physique de travail, ou plutôt des conseils sur la gestion, éviter ou gérer le stress etc.
Patrick : Nan oui la partie physique : ça peut être bon de discuter avec une personne qui est là-dedans pour donner des conseils. Mais bon moi je connaissais pas avant que tu le fasses, que tu en parles… Mais pour le stress aussi ça peut être bien, des gens qui te disent un peu.. qui t’aident pour quand ça va pas trop etc.
EMS : Merci Patrick pour ce temps accordé et puis bon courage pour la suite alors !
Patrick : Bon ça fait 500€ !
(Rires…)
Patrick : Nan bah de rien… hésites pas, tu me rappelles si tu as des questions
Cette retranscription est le résultat d’un entretien d’une 50 aine de minutes. L’objectif de ce témoignage n’est pas de généraliser sur l’activité des artisans en bâtiment… bien au contraire ! Nous avons souhaité mettre en avant l’aspect subjectif du métier d’artisan du bâtiment, et par le fait, communiquer sur les préoccupations de cette personne. Nous avons pu observer que la « fiche de poste » de Patrick : « Bah tu le sais : Peinture, isolation, aménagements de combles, carrelage parquet, revêtement mural/sol » ne représente en réalité qu’une partie de son activité qui nécessite aussi de faire des devis, organiser son planning, gérer la partie administrative de la gestion de société, se renseigner sur les fournitures possibles à proposer au client. Cette partie, qui peut être source de stress, est inhérente au métier de chef de (petites) entreprises. La seconde partie à relever dans ce témoignage est l’importance de la pénibilité physique du métier. Aujourd’hui, à 58 ans, Patrick n’a peut-être pas le même discours qu’en début de carrière, mais ce dernier est tout de même très centré : « pathologie, douleurs, difficulté de travail », de réelles préoccupations pour l’ergonome.
En conclusion, l’exposition de Patrick à la pénibilité (au sens juridique) est indéniable, et pourtant sa prise en charge n’est pas la même qu’un salarié. Encore une fois, l’ergonomie a sa place dans de nombreuses situations, reste à savoir comment l’adapter aux structures comme celles de Patrick.