Pour ce 50 minutes InSitu, nous avons cette fois-ci rencontré Monsieur P., la trentaine, mécanicien poids lourds au sein d’une commune.
EMS : Bonjour et merci d’avoir accepté ma demande d’entretien. Avant de rentrer dans le vif du sujet est-ce que tu peux m’expliquer un peu en quoi consiste ton activité ?
P : Eh bien j’entretien le parc automobile d’une commune. Donc automobiles, poids lourds, cars, tractopelles, petits matériels d’espaces verts, etc.
EMS : Mais alors ton métier c’est quoi exactement ?
P : Mécanicien poids lourds.
EMS : Donc t’es mécanicien poids lourds mais tu fais pas que ça ?
P : Non je fais toutes mécaniques confondues.
EMS : Comment ça se fait ?
P : A cause du manque de personnel. On n’a pas assez de personnel pour s’occuper de chaque catégorie de matériel donc on est obligé de passer sur différents postes. Donc de la mécanique poids lourd je vais passer à la mécanique automobile et à la mécanique agricole parce qu’on a des tracteurs aussi.
EMS : Tu fais de la mécanique mais la mécanique se résume pas à être sous un bus. Qu’est-ce que tu as d’autre comme tâches ?
P : Ça va être des entretiens courants, donc des vidanges, des remplacements de freins des choses comme ça. Ça va être des pannes, donc diagnostics de pannes, donc on va avoir beaucoup de recherche. Heureusement on a des valises informatiques qu’on va brancher sur certains véhicules qui nous aident pas mal puis voilà.
EMS : Ok. Là tu nous parle surtout de la mécanique pure mais je suppose que les pièces se commandent pas toutes seules ?
P : Ah non. On a un magasinier qu’est là justement pour. Nous on fait notre travail, on recherche les pannes et les pièces qu’il faut remplacer, on retransmet ça à notre magasinier et lui avec les infos du véhicules choses comme ça il va directement chez le fournisseur pour commander les pièces et nous ramener ce dont on a besoin.
EMS : D’accord donc tu dépends quand-même pas mal de ce magasinier ?
P : Plus ou moins oui.
EMS : Y a que lui qui commande les pièces, qui va les chercher etc.. ?
P : En travail de commune en fait c’est très compliqué parce qu’en gros moi faut que je remonte l’information auprès de mon magasinier, mon collègue magasinier doit faire une fiche de besoins, après il faut qu’il aille au magasin central et le magasin central ils vont lui faire un bon qui est propre à chaque fournisseur et ensuite il pourra aller commander les pièces.
EMS : D’accord. Et une fois la commande passée qui va chercher les pièces ?
P : Certains fournisseurs nous les apportent sinon c’est lui qui est obligé de se déplacer. Ça arrive aussi quelques fois que ce soit moi qui y aille quand le magasinier est absent, qu’il est occupé ou qu’il est déjà parti chez un fournisseur. Donc ça arrive qu’on passe parfois beaucoup plus de temps à aller chercher les pièces plutôt qu’à travailler. Par exemple, on va dire qu’une vidange simple si on avait les pièces tout de suite on pourrait mettre 1h30 à faire la vidange, sauf que des fois, vu que c’est long, qu’on peut pas nous livrer des choses comme ça, bein des fois on peut mettre 1 journée et demie voire 2 jours pour faire une simple vidange qui pourrait durer 1h30.
EMS : Donc tu dépends beaucoup de tes fournisseurs en fait ?
P : Oui. De mes fournisseurs et de toutes les personnes qui sont au-dessus de moi. Il suffit qu’il y en ai un qui zappe un peu le truc ou qui est pas disponible ou n’importe bah ça se répercute sur mon travail.
EMS : Est-ce que tu peux dire que ton domaine de la mécanique poids lourds c’est un travail physique ?
P : Oui c’est un travail physique. Forcément, un camion c’est plus gros qu’une voiture donc toutes les pièces sont démesurées et beaucoup plus grosses. Pareil, les outils vont être beaucoup plus gros et beaucoup plus lourds.
EMS : Tu peux nous donner un exemple ?
P : Exemple, une clé dynamométrique qui sert à serrer des vis à un certain couple, on va avoir une clé qui va faire facilement plus de 5kg avec 1m50 de longueur. Puis vu que c’est un poids lourd c’est pareil, on peut pas le placer comme on veut sur un pont élévateur ou des choses comme ça donc des fois c’est difficile d’accès, on est obligé de glisser en dessous donc on est obligé souvent de porter les pièces à bout de bras ou on a des postures un peu compliquées.
EMS : Tu donnes l’exemple de la clé dynamométrique mais pour une voiture « normales » c’est…
P : Une clé dynamométrique de voiture ça va peser peut-être 1kg et ça va faire 30cm à peu près.
EMS : Si je te parle d’accidents de travail, de maladies professionnelles ou de troubles musculo squelettiques, est-ce que ça te dit quelque chose ?
P : Oui, j’ai moi-même eu une blessure au niveau du bras droit.
EMS : Dans ton travail ?
P : Dans mon travail oui. Parce que y a certains véhicules c’est pareil, pour travailler sur le moteur c’est pas juste un capot qu’il faut lever, c’est toute une cabine qu’il faut basculer et sur certains véhicules y a une assistance, donc un verrin, c’est une petite pompe en fait qui va nous permettre de lever la cabine et sur certains véhicules y a pas ce système la donc on est nous-mêmes obligés de pousser et soulever la cabine qui pèse très très lourd et on n’a pas forcément des bonnes postures pour les lever, donc on force, on force et on arrive à se blesser.
EMS : Tu sais ce que t’as eu exactement ?
P : Une déchirure au niveau du court biceps.
EMS : En manipulant une cabine ?
P : Oui.
EMS : Vous avez quelqu’un en interne pour la prévention ? Et c’est quoi son rôle exactement ?
P : Euh, en gros quand on a eu un accident de travail, y a une personne qui s’occupe de venir voir sur place, pour qu’on lui explique un petit peu ce qu’il s’est passé et lui il va essayer de nous dire en fait, bah « plutôt que de faire ça vous auriez pu faire ci, vous auriez pu faire ça » mais en gros y a rien qui change. Il dit juste « plutôt que d’avoir fait cette erreur là on aurait pu faire ça ». Mais y a rien derrière qui suit pour régler les problèmes.
EMS : Et du coup cette personne est venue quand t’as eu ton accident ?
P : Il est venu, il m’a demandé en gros ce qu’il s’était passé, s’il y avait eu des témoins, des choses comme ça, et puis c’est tout. Il a passé plus de temps au final à discuter avec d’autres personnes. Il m’a pas forcément donné de conseils à part « Là on aurait pu être beaucoup plus pour lever la cabine », sauf que nous on est pas beaucoup plus.
EMS : Vous êtes combien dans ton service ?
P : Euh, avant y avait 1 magasinier, 4 mécaniciens maintenant on est 2 mécaniciens, 1 carrossier et 1 magasinier. Alors le carrossier quand il est dans la cabine à peinture, quand le magasinier est parti et quand l’autre mécanicien est occupé, bah parfois on n’a pas le choix, on est obligé de travailler seul.
EMS : Donc au niveau de la charge de travail vous êtes plutôt comment là ?
P : On est débordé, parce qu’y a des époques qui sont compliquées comme le printemps et l’été parce qu’y a toutes les coupes. Donc y a tous les véhicules de tonte : les tondeuses, tout ce qui est taille haie, tronçonneuse, etc. y a tout ce qui est petit matériel à réviser, tout ce qui est espace vert. Sauf que justement il nous manque un mécanicien espace vert. Parce que la mécanique espace vert, c’est une mécanique quand même bien spécifique, c’est pas parce qu’on fait de la mécanique poids lourds qu’on va savoir faire de la mécanique espace vert. Chaque catégorie a sa mécanique bien propre donc en fait c’est compliqué pour tout le monde de se familiariser avec du nouveau matériel donc on n’est pas tous capables de réparer certaines choses, donc bah des fois on attend, on les met de côté pour pouvoir les réparer et ça s’entasse.
EMS : C’est une activité fluctuante, y a des moments où t’as plus d’activité que d’autres ou c’est tout le temps en surcharge ?
P : Ça dépend des périodes. Y a des périodes ou on va être à travailler « normalement » on suit notre planning y a pas de débordements, y a pas plus de chantiers, y a pas plus de problèmes. Et y a des fois où va y avoir énormément de pannes, de casses, etc. du coup on va être sur 2 ou 3 chantiers en même temps pour pouvoir sortir rapidement le véhicule. On fait des heures supplémentaires parce que des fois on n’a pas le choix, il faut que le véhicule tourne. Comme les cars scolaires, quand on les a en révision et qu’il y a des problèmes dessus, y a pas le choix, faut réparer vite parce qu’on a des ordres aussi qui viennent de la hiérarchie qui nous font comprendre qu’on doit réparer vite, que les cars c’est une priorité.
EMS : Tu parles de planning, ça veut dire que vous avez quand même une organisation cadrée.
P : On a un tableau avec tous les véhicules avec des dates précises qui sont distribuées en début d’année. Chaque véhicule a 3 dates dans l’année où ils vont venir 3 fois en révision dans l’année. Y a une révision ça va être une grosse révision avec vidange, pneus, des choses comme ça. Et y a une petite révision en cours d’année pour jeter un œil, refaire des niveaux, des choses comme ça et après au moins une fois dans l’année on va faire une pollution, contrôle technique en plus.
EMS : Et je sais qu’en plus de ça, t’as des astreintes.
P : J’ai des astreintes. Y a plusieurs services qui ont des astreintes mais au service garage on est 4, y a un roulement qu’on fait toutes les semaines du lundi au lundi d’après. L’astreinte commence après le travail donc moi je finis à 16h30. Je suis fonctionnaire, j’ai cette petite chance [rires]. Mon astreinte commence de 16h30 jusqu’au lendemain matin 8h quand je commence à travailler. Et donc, on va être appelé en cas de problèmes au niveau du centre technique si y a des alarmes, si y a un accident où y a de l’huile sur la route. On peut être amenés à venir nettoyer les routes, mettre de l’absorbant… euh, quelques fois ça nous arrive quand y a des animaux morts faut qu’on aille dégager les routes et nettoyer. Et on a un service en plus l’hiver, par rapport au temps, on doit faire du salage de route. Donc voilà.
EMS : Et t’es souvent appelé ?
P : C’est pareil, y a des périodes où on va pas être forcément appelé. Des fois on va avoir 2-3 astreintes qui se suivent où y a aucun appel et des fois ça va être 3-4 fois dans la semaine. Parce qu’on peut être aussi appelé en renfort d’autres équipes. Comme pour le service des eaux, si y a une canalisation qui casse et qu’ils ont besoin d’un conducteur pour le camion ou la tractopelle, des choses comme ça. C’est pour ça que le garage participe à ça, parce qu’on est le seul service où on a tous nos permis poids lourds et nos CACES tractopelle.
EMS : Je reviens un peu sur la partie santé au travail. Est-ce que toi dans ton activité tu fais attention à pas te blesser ?
P : Pour certains mouvements oui je vais faire attention. Surtout ce qui est levage. J’ai fait une formation gestes et postures donc tout ce qui est levage de poids je vais faire attention à mon dos, à bien fléchir les jambes mais après j’ai un métier ou justement par rapport aux réparations, aux accès aux véhicules, des choses comme ça des fois on a pas le choix du tout de prendre des postures qui sont pas du tout « ergonomiques » [rires]. On n’a pas le choix de se baisser, de se tordre un peu dans tous les sens pour réparer les véhicules. J’essaie de faire attention au maximum mais la plupart du temps quand même on n’a pas beaucoup de choix, d’alternatives.
EMS : Tu me parles de ta formation. Est-ce que tu trouves que c’est applicable facilement dans ton activité et est-ce que ça te sert ?
P : Certaines choses vont me servir après à mettre en œuvre tous les jours pour moi c’est pas forcément réalisable parce que, c’est bête mais, ramasser une charge en pliant les jambes des choses comme ça, 1 fois de temps en temps dans la journée ça va être faisable mais si c’est un travail répétitif, on perd énormément de temps et le temps des fois on l’a pas forcément. Et en fait on va perdre du temps – je dis pas que c’est pas important de s’équiper mais des fois on va perdre trop de temps à tout mettre en place, penser qu’en utilisant ou en faisant ça de telle manière on aura peut-être un petit peu moins mal au dos. Des fois c’est plus galère à mettre en place quelque chose pour nous aider que de faire un geste simple où on va se faire mal.
EMS : Est-ce que tu penses que du matériel (ou autre) pourrait te soulager dans ton travail ?
P : D’un point de vue postures, on a déjà des dos alaises. A part ça je vois pas vraiment un matériel qui va m’empêcher ou m’aider à aller chercher une pièce qui est derrière un moteur : ou je vais devoir m’allonger sur le véhicule ou je vais devoir me coucher en-dessous. On essaie quand même d’avoir des outils assez récents, des pinces avec des grandes rallonges, des choses comme ça pour moins peiner justement mais on va dire mis à part quelques outils qui vont nous faciliter certains accès, y a pas de réelles choses qui pourraient nous aider.
EMS : Est-ce que tu penses que l’ergonomie pourrait apporter quelque chose dans ton cas ?
P : Euuuh, oui, point de vue de l’organisation. Agencer un petit peu l’atelier pour éviter les allers-retours quand on va chercher des pièces. Parce que nous on a mis ça comme ça parce que y avait un emplacement donc on a mis la machine là mais ça nous permettrait de revoir un petit peu ce qu’il y a autour.
EMS : Tu sais que l’ergonomie c’est pas que l’aménagement physique et l’organisation des espaces. On intervient aussi lorsqu’il y a des problématiques d’organisation globale du travail ou des difficultés dans la communication entre les personnes ou les services.
P : Oui, d’ailleurs on a de gros problèmes avec ça parce qu’on perd énormément de temps.
EMS : Est-ce que vous, dans votre service vous en avez déjà discuté et est-ce que vous avez essayé de mettre des choses en place ?
P : Y aurait des solutions sauf que, je travaillerais en entreprise ça dépendrait de 1 ou 2 personnes sauf que là je travaille dans une commune et le problème c’est que ça va pas dépendre que de ma commune. Le travail que moi je vais mettre en place là c’est parce que c’est comme ça, c’est toutes les communes qui fonctionnent comme ça, avec un logiciel, une façon de travailler. C’que nous on pourrait mettre en place là, faudrait que ce soit mis en place après sur toutes les communes et ce serait pas forcément réalisable.
EMS : J’ai vu que vous aviez un projet de mutualisation avec plusieurs communes. Est-ce que ton service est concerné ?
P : Alors c’est un gros point d’interrogation. On sait pas. On doit nous communiquer beaucoup de nouvelles, beaucoup de choses mais au final on a aucunes réponses à nos questions. On nous dit que faut pas qu’on s’inquiète, tout se passera bien, on n’est pas concerné. Mais au final on sait toujours pas qui est vraiment concerné et comment ça se passera. Savoir si on devra prendre notre service toujours au même endroit, si on sera transféré, si on aura moins de véhicules, si on aura plus de véhicules, si les véhicules viendront chez nous pour qu’on s’en occupe. Le problème c’est qu’y aura pas de nouveau personnel au garage et ça fait une charge de travail supplémentaire pour le même effectif. Donc je sais pas. Je peux pas répondre à cette question parce que je sais pas.
EMS : Et toi personnellement qu’est-ce que t’en penses de cette mutualisation ?
P : Et bein ça me rassure pas parce que j’ai des projets dans ma vie mais en fait je sais pas c’que mon poste va devenir, je sais pas ce que mes astreintes vont devenir et c’est quand même un bon supplément sur mon salaire. Donc je sais pas si avec la mutualisation je vais pouvoir garder cette astreinte, je sais pas si mon poste restera, je sais pas si mon logement que j’ai actuellement et qui, à la base était un logement de fonction, restera mon logement ou si je vais devoir partir. Je me pose des questions si je dois rester dans la fonction publique ou si je dois chercher un travail ailleurs pour avoir un certain niveau de qualité de vie. Enfin voilà.
EMS : Merci Monsieur P. d’avoir répondu à toutes mes questions et bon courage pour la suite !
En creusant un peu, l’entretien a permis de montrer que Monsieur P., dans son activité de mécanicien poids lourds, n’a pas que des contraintes physiques mais également organisationnelles et cognitives. Les exigences particulières de son métier demandent une certaine santé physique afin de manipuler les outils et les machines liées aux poids lourds mais ajouté à cela, le système organisationnel de la commune et l’incertitude sur le devenir de son poste peuvent entrainer une part de stress.
Dans ce cadre, l’ergonomie peut aussi bien intervenir sur la charge cognitive et l’organisation générale, que sur l’aménagement du garage dans lequel évolue Monsieur P. Il ne faut pas oublier que les TMS comme les RPS ont des causes multifactorielles et qu’il est nécessaire d’agir au plus vite afin de prévenir d’éventuels troubles pour la santé.