Afin d’analyser et potentiellement modifier des situations de travail, l’ergonome doit investir le milieu et intégrer son terrain d’étude à plusieurs niveaux. Beaud et Weber (2010) parlent de négociation, autrement dit, l’ergonome doit faire sa place.
28 Mai
La place de l’ergonome
Sa place physique comme un corps occupant l’espace
Un ergonome qui observe et analyse une situation de travail est un élément perturbateur, ne serait-ce que par sa présence physique inhabituelle sur le terrain. Cette perturbation est inévitable et doit être acceptée par l’ergonome car elle peut être source de données pertinentes à capter. D’un point de vue pratique, il est cependant nécessaire de trouver une place ne dérangeant pas trop la personne observée dans la réalisation de son activité.
Lors d’une étude terrain, un ergonome déambule, s’approche, dérange, gêne et se retrouve souvent dans le passage. Il faut alors trouver une place spatiale acceptable par l’ensemble des acteurs, un compromis permettant d’avoir plusieurs focales d’observations : une vision systémique de la situation et une vision plus précise sur l’activité de la personne. Cette place permet d’observer et d’être observé en retour par l’ensemble des acteurs présents.
Cela interroge le deuxième niveau de la place de l’ergonome au sein de la situation : sa place sociale. Ne faisant pas forcément partie de l’équipe opérationnelle ou de l’encadrement, l’ergonome peut être perçu positivement ou négativement comme un étranger.
Une chaise en plus, c’est de l’espace en moins. Il en est de même pour l’ergonome.
Sa place sociale, celle de l’ergonome consultant, interne, du service HSE, etc.
Il est pertinent de questionner la place de l’ergonome dans l’organisation dans laquelle il intervient. Nous portons tous une étiquette : ergonome consultant, ergonome interne du service de santé sécurité au travail, apprenti ergonome, ergonome senior, etc. Cette posture sociale peut avoir des répercussions sur l’accès au terrain.
« Oui, c’est vrai, on nous voit souvent comme la police, comme… Enfin qu’on surveille les gens. Mais ce n’est pas vrai, ce n’est pas le rôle du service. On cherche à apporter des conseils pour améliorer les choses. On ne cherche pas à faire la police, ce n’est pas notre but. » Responsable d’un service de santé et sécurité au travail interne faisant appel à un apprenti ergonome
Un ergonome est souvent perçu socialement comme un étranger faisant partie d’un autre groupe social que les personnes observées. Il est alors nécessaire d’expliquer notre présence, nos objectifs et intentions pour rendre cette présence une nouvelle fois acceptable. Il est possible de descendre la hiérarchie strate par strate pour être connu de tous. L’objectif n’est pas forcément de faire partie du groupe social observé, mais du moins de devenir un étranger accepté.
Il y a souvent des éléments qui rapprochent les personnes de milieux sociaux potentiellement différents
Sa place morale et son équation personnelle
Le fait de faire sa place dans un environnement inconnu impose une réflexion sur soi, sa pratique et sa posture. Il est difficile de rester neutre dans une situation et c’est pourtant le rôle de l’ergonome. Combessie (2010) invite à garder une « attention à soi » en tant « qu’étranger » à la situation. Il est nécessaire de n’avoir aucun a priori sur le milieu dans lequel nous rentrons, permettant d’avoir une attention à la moindre action ou interaction de la situation sans se dire qu’elle est futile. La posture adoptée doit être celle d’un candide non-expert de l’activité réalisée : les experts de l’activité sont ceux qui la réalisent. L’humilité est essentielle pour comprendre l’activité en situation réelle.
L’exemple de l’apprenti ergonome
Le statut d’un ergonome peut avoir des effets bénéfiques et/ou néfastes sur l’intervention. Prenons l’exemple de l’apprenti ergonome qui peut se heurter à des difficultés lors de la présentation de ses résultats avec un encadrement ne lui adressant pas forcément le même degré de crédibilité qu’un ergonome senior. Cependant, le fait d’être étudiant peut devenir un statut privilégié lors des observations car les personnes peuvent potentiellement vouloir l’aider à réaliser un bon rapport, connaissant eux aussi des étudiants dans leur entourage. Il peut être intéressant alors d’assumer son statut pour inclure ces personnes dans une démarche participative volontaire, augmentant de surcroît sa crédibilité par l’apport de l’expérience réelle du terrain.
Sans faire de cet exemple une généralité, la place de l’ergonome impacte systématiquement son intervention et peut parfois induire un cercle vertueux combinant la connaissance terrain et la crédibilité face à l’encadrement.
Cet apprenti en ergonomie ne le sait pas encore mais son statut d’étudiant lui sera potentiellement utile lors de son intervention
Références bibliographiques :
Beaud, S., & Weber, F. (2010). Guide de l’enquête de terrain. La découverte.
Combessie, J. (2010). La méthode en sociologie. La découverte.